Macron giflé dans la Drôme : foule sentimandale

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À la sortie de son film Play it again, Sam (1972), injustement méconnu, Woody Allen disait : « La vie n’imite pas l’art, elle imite la mauvaise télévision. » Sa remarque, qui valait pour ce que l’on appelait alors la société du spectacle, n’a pas vieilli. En effet, dans la saison 3 de Baron noir (qui est pourtant de la bonne télévision), la présidente Amélie Dorendeu (interprétée par la capiteuse Anna Mouglalis) était déjà giflée lors d’un bain de foule. C’est maintenant au tour du réel d’imiter la série.

Ainsi, donc, notre Président a-t-il été victime d’un léger sentiment d’insécurité, ce 8 juin, à Tain (Drôme), lorsqu’un badaud l’a giflé aux cris de « Montjoie Saint-Denis, à bas la Macronie ! » L’assaillant a été immédiatement maîtrisé par le service de sécurité, rassurons-nous. Il doit, en ce moment même, réfléchir aux conséquences de son geste en attendant la comparution immédiate qui ne manquera pas. Contrairement aux auteurs des violences quotidiennes qui émaillent notre beau pays, il y a fort à parier que la Justice ne lui montrera aucune clémence. Il risque, semble-t-il, trois ans de prison. Presque un an par doigt de la main.

Déjà, les commentaires affluent : il a fallu trente minutes aux experts de CNews pour savoir que « Montjoie Saint-Denis » était le cri de guerre des chevaliers français – détail qui n’avait pourtant pas échappé à Béatrice de Montmirail dans Les Visiteurs. Les blagues affluent, aussi : on parle déjà de « tarte à Tain » sur les réseaux sociaux, blague à double niveau dans ce cas précis, puisque Macron se déplaçait justement pour la journée de la gastronomie.

Un peu partout, on pousse des cris d’orfraie. C’est la République qu’on gifle, tout ça tout ça. C’est oublier un peu vite deux choses : d’abord, la République elle-même s’est construite sur la violence, la haine et la profanation du sacré. La basilique Saint-Denis et l’exhibition atroce des cadavres des rois de France ; les sévices infligés à la princesse de Lamballe par les révolutionnaires ; Louis XVII confié au citoyen Simon ; Louis XVI, empêché par les tambours de parler une dernière fois à son peuple. Dix minutes sur Internet suffisent à rappeler les faits. La République, c’est la décapitation de tout ce qui est grand, beau ou sacré. C’est la liberté à sens unique (celui de l’Histoire, il paraît), l’égalité à la Procuste, la fraternité sans père. Rien de neuf. Faut pas s’étonner.

Ensuite (et surtout), Macron n’a, contrairement à ce qu’il avait annoncé et commencé à montrer en 2017, rien rendu au caractère prétendument sacré de sa fonction. On ne va pas reparler de Kantorowicz et des Deux Corps du roi, mais quand un Président salit à ce point, abaisse à ce point les fonctions qu’il occupe (jusque tout dernièrement avec McFly et Carlito), il ne peut pas considérer comme acquis le respect de sa personne.

Enfin, même s’il est trop tôt pour savoir qui est le gifleur masqué, on ne peut s’empêcher de fredonner la vieille rengaine d’Alain Souchon, « Foule sentimentale ». Vous savez, celle qui a « Soif d’idéal/Attirée par les étoiles, les voiles/Que des choses pas commerciales ». Cette foule qui dit « Il faut voir comme on nous parle » : les sans-dents, les illettrés, ceux qui ne sont rien et n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du boulot, ces Gaulois réfractaires qui coûtent un pognon de dingue, descendants de cette culture française qui n’existe pas, protestant contre un pouvoir trop intelligent pour lui… Il faut voir comme on nous parle, en effet. La France aime son patrimoine, a du respect pour les pauvres, est (quoique de moins en moins) fière de sa magnifique Histoire. Elle ne comprend pas cette violence symbolique (ou pas) qui lui est faite, depuis longtemps, par des élites qui ne font plus rien pour mériter leur nom.

Alors, même si  l’on ne peut que désapprouver ce geste, surtout envers un chef, comme il avait jadis tenu à le rappeler aux militaires, on imagine assez bien quel climat l’a suscité…

Arnaud Florac, Boulevard Voltaire

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