Du monde de Sempé au nôtre : Les ruines de l’esprit

Spread the love

Articles  : Aout 2022Juil. 2022Juin. 2022 – Mai 2022

Facebook : https://www.facebook.com/ORTF-News-107572991571884

En vacances en Gironde, entre deux incendies, alors que les pistes cyclables sont interdites aux cyclistes et piétons par arrêté préfectoral, je consulte, fasciné mais frustré, la carte des véloroutes et voies vertes de France sur un site qui leur est consacré. J’apprends que la Scandibérique est un réseau de voies cyclables reliant Trondheim (Norvège) à Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) sur plus de 1.700 km. Fantastique !

Lorsque je parcours les sentiers forestiers le long de l’Eyre, jolie petite rivière rafraîchissante, ici ou là, des installations gymniques avec panneaux explicatifs m’incitent à faire des exercices physiques, et c’est très bien. Mon corps y trouve son compte.

Un coup d’œil sur ma boîte mail me signale de nouveaux articles du site Causeur. Celui de Thomas Morales, « Sempé, dessine-moi encore la France ! », me met en joie. Quelques phrases sont des morceaux d’anthologie :
« Il était un rempart à la veulerie généralisée. »
« Grâce à lui, j’ai pu communier enfin avec mon pays et lui trouver des excuses. Il m’a rendu moins amer avec ma géographie intime. »
« Il était à l’opposé de notre époque geignarde et souillonne qui, à force de vouloir tout dénoncer, a perdu le sens du beau et du friable. »

Quel bel esprit à la fois poétique et tendrement critique que celui de Sempé.

Mais le zapping brutal de cette carte européenne du bien-être physique à l’article de Morales sur Sempé me laisse un goût amer. Pourquoi ai-je le sentiment qu’entre Sempé et nous, un gouffre s’est creusé ? Que s’est-il passé ?

Nous assistons, je crois, à un déficit d’esprit, parce qu’on a tout misé sur le corps, de moins en moins sur l’esprit. Le pape Pie XI appelait ça les mystiques humaines, des manières humaines de chercher un absolu. Une catastrophe pour l’humanité ; elles ont accouché de deux monstres : la dictature marxiste-léniniste immédiatement suivie par la dictature nazie. Mystique du corps social pour l’une et du corps racial pour l’autre. Après la libération sexuelle de Mai 68, mystique du corps exalté, nous vivons aujourd’hui dans la continuité des mystiques humaines dans une logique matérialiste, celle du corps hygiénique. Dans tous les cas de figure, l’esprit ne trouve pas son compte.

Jamais l’âme et le corps n’ont été aussi séparés. Descartes jubile.

Dans la Rome antique, on tenait les masses populaires dans une relative servilité avec du pain et des jeux (panem et circenses). Aux temps des matérialismes modernes, le pain et les jeux ne suffisaient plus. Il fallait trouver au corps des justifications, des préoccupations qui élèvent l’humanité, qui lui donnent des ambitions au niveau de l’esprit. Le vieil adage mens sana in corpore sano donnait encore la priorité à l’esprit, mais on n’en est plus là, on est dans la sublimation du corps au détriment de l’esprit.

Les années 20 du XXe siècle étaient marquées par l’insouciance de l’entre-deux-guerres. Dans nos années 20, on n’est pas dans l’insouciance, on est dans l’angoisse d’un corps hygiénique, en bonne santé physique. Pour la santé mentale, on a les antidépresseurs et les psychothérapeutes à tous les étages. On en a eu un exemple historique avec la crise du Covid : rien pour l’esprit, et surtout pas l’esprit critique.

Contrairement à ce qu’écrit Merleau-Ponty (Le Visible et l’Invisible), ce n’est pas seulement dans le visible que résident les ruines de l’esprit, c’est dans toute une conception moderne de l’homme, de la connaissance et du monde, qui s’est construite sur la négation de l’être.

Morales termine ainsi son article : « Sempé était l’écrivain souterrain de nos bonheurs disparus. » Les ruines de l’esprit sont définitivement celles de la métaphysique et de la poésie. Plus qu’un problème culturel, c’est une question anthropologique. Que nous disent le transhumanisme, le wokisme, l’ingérence LGBT à l’école ? Le corps, c’est tout. L’esprit en est réduit à ce que je construis, ou j’imagine construire, autour de mon corps et de ses pulsions. On a glissé subrepticement, presque inconsciemment, de la civilisation de l’image vers la civilisation du fantasme. Mais peut-être, plutôt que des ruines, faudrait-il parler d’un étouffement de l’esprit par une incompréhension des liens entre le corps et l’âme, conséquence directe du dualisme cartésien et de sa vision de l’homme : un ange conduisant une machine. Si le corps est une machine, tout est possible.

Mais l’heure n’est plus aux lamentations. Il est temps de se retrousser les manches, de redonner, comme disait Maritain, « la primauté au spirituel ».

Ce jeudi, à la messe dans la petite église d’un village de Gironde, j’ai vu les bigotes de Sempé, souvent agenouillées malgré les rhumatismes. J’ai le sentiment que l’avenir de la France repose aussi sur leurs prières.

Frédéric Marc, Boulevard Voltaire

AddFreeStats.com Free Web Stats! Ecoutez DJMusic.fr

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *