Mort de Jacques Perrin : « Je voulais vous dire adieu, Willsdorff »

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Jacques Perrin avait 80 ans. À cet âge, en 2022, on est encore vaillant. Il s’en est pourtant allé, au terme d’une carrière cinématographique qui accompagne, en filigrane, ces cinquante dernières années. Fils d’artistes, Jacques Simonnet prendra le nom de sa mère pour mener sa carrière, qui s’ouvre dès 1958. Il tourne rapidement avec Clouzot, Costa-Gavras et Carné, mais ce sont Pierre Schoendoerffer et Jacques Demy qui lui offriront certains de ses plus beaux rôles. Fraîchement sorti de Cyr pour rejoindre l’Indochine dans La 317e Section (1965), le sous-lieutenant Torrens, qu’il incarne, établit peu à peu une relation de confiance et de respect avec son adjoint, l’adjudant Willsdorff (Bruno Cremer), tandis que le personnage de Maxence, dans Les Demoiselles de Rochefort (1967), poursuit sa quête de l’idéal féminin dans une fable insouciante et chantante. Dans les deux cas, c’est son physique d’idéaliste qui magnifie le rôle. On le retrouve encore sous l’œil de Jacques Demy dans Peau d’âne (1970), où il est le prince charmant de Catherine Deneuve. Loup maigre dans la rizière ou jeune premier dans les comédies pop, il s’accommode aussi bien de la fraîcheur et du premier degré que de la confrontation aux choix les plus difficiles, ceux de la guerre.

Avec les années, il acquiert, dans ses rôles, une sorte de désenchantement pudique : il est l’emblématique crabe-tambour dans le film éponyme (1977), de Schoendoerffer toujours, lâché par son ami « le vieux » (Jean Rochefort) dans la tourmente des années 60. Cette fois, c’est lui qui porte le nom de Willsdorff, puisqu’il incarne le frère du précédent. Il est le révélateur, tout en panache et jeunesse, de ce que les autres officiers de marine du film, souvent à l’aube de la cinquantaine, ont abandonné de leur idéal. À l’âge où l’on commence à « savoir son poids de lâcheté » (dit Jacques Brel dans « Avec élégance »), la figure de Perrin dans le film, solaire, presque gênante de pureté pour un monde qui vit de compromis, est celle de l’éternel jeune lieutenant plein d’espérance et de fougue. Son personnage est librement inspiré du célèbre lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume, mais doit énormément à Pierre Schoendoerffer lui-même, comme le réalisateur l’expliquera.

Parallèlement, Perrin produit des films de Costa-Gavras, souvent engagés à gauche (Z, sur la dictature des colonels en Grèce ; Section spéciale, sur la justice d’exception de Vichy ; État de siège, sur l’enlèvement d’un conseiller du FBI en Amérique du Sud), et, plus tard, de superbes documentaires (Microcosmos ou Le Peuple migrateur, qu’il coréalise). Entre-temps, il a retrouvé Schoendoerffer dans L’Honneur d’un capitaine (1982), qui documente les empoignades télévisuelles des années 80 sur les conflits coloniaux.

L’année 2004, probablement la dernière significative de sa filmographie, le verra poursuivre dans le double sillon qui n’a jamais cessé d’être le sien : celui de l’esprit d’enfance (il est Morhange adulte, dans Les Choristes, de son neveu Christophe Barratier) et de la fidélité à la parole donnée (il incarne, dans Là-haut, un roi au-dessus des nuages, dernier film de Schoendoerffer, le cinéaste Henri Lanvern, disparu mystérieusement dans les montagnes de l’ex-Indochine, pour sauver un frère d’armes).

Jacques Perrin était un grand acteur, inclassable, fidèle, avec une présence et une gueule décidément surannées, une figure qui exprimait l’innocence, l’intransigeance, le don de soi. À ce titre, il joue, brièvement, un bouleversant marquis d’Apcher dans le (par ailleurs médiocre) Pacte des loups (2001): hobereau digne et modeste, qui dit « je me devais à mes gens », broyé par la laideur de la Révolution, c’est tout à fait lui. On n’en fait plus, des comme ça, certes. À présent, nous sommes tous un peu comme le « vieux », pacha du Jauréguibérry dans Le Crabe-tambour, condamné par un cancer, et qui va chercher ce fantôme du passé jusque dans les creux apocalyptiques de l’Atlantique Nord, juste pour lui dire adieu. « Je voulais vous dire adieu, Willsdorff. » Ce sera tout.

On peut imaginer que Perrin partageait avec Schoendoerffer le goût des rituels militaires, ces liturgies de substitution qui sont une manière pour les hommes d’assumer leur part d’enfance. Il doit vivre sa dernière prise d’armes en ce moment même. Bernanos disait à ce sujet que c’est l’enfant que nous étions qui entrerait le premier au paradis. Jacques Perrin, lui, aura prolongé sur terre, au-delà de ce qu’il est normalement permis d’espérer, cette part d’enfance dans l’esprit de beaucoup d’entre nous. Rien que de cela, merci, et « adieu Willsdorff ». Le commandant quitte le bord.

Arnaud Florac, Boulevard Voltaire

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