Suicides dans la police, cela continue : Et si on brisait l’omerta ?

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Publié le 3 août 2019 – par Sébastien Jallamion

Alors que 7 policiers se sont donné la mort en seulement 11 jours, portant le chiffre à 46 depuis le début de l’année, l’omerta sur les causes de cette hécatombe se porte bien. Chacun de ces drames est relégué à la rubrique des faits divers, en quelques lignes… Circulez, il n’y a rien à voir ! Et si nous crevions l’abcès une bonne fois pour toutes ?

Prendre le mal à la racine : une chose impossible ?

Comme vous le savez, le procès de France Télécom et de ses cadres s’est tenu cette année, suite à la vague de suicides qu’avait connue l’entreprise il y a dix ans environ, et le jugement sera rendu en décembre. Dans le cas d’espèce est directement mis en cause le management, et les prévenus doivent répondre du harcèlement moral exercé sur leur personnel. Pourquoi une telle procédure serait-elle impossible concernant la police nationale ? Il y a plusieurs raisons qu’il convient d’évoquer :

Tout d’abord, l’institution policière n’est pas une simple « entreprise », mais une administration, un service de l’État. Sa responsabilité civile ne peut être engagée que devant les juridictions administratives, composées de magistrats qui sont indépendants sur le papier (car inamovibles), mais dont la promotion résulte cependant du bon vouloir de leur hiérarchie. Il convient toutefois de souligner la décision du tribunal administratif de Caen qui en avril 2019 a condamné l’État à indemniser la familled’un policier qui avait mis fin à ses jours en 2014. Un jugement rarissime, qui n’enlève rien au fait que les véritables responsables ne seront pas tenus d’indemniser qui que ce soit, la réparation du préjudice étant à la charge de la collectivité.

Ensuite, sur le plan pénal, une plainte pour harcèlement moral est vouée à l’échec. En effet, si l’opportunité des poursuites incombe exclusivement aux parquets, les procureurs de la République – dont il convient de rappeler qu’ils ne sont pas indépendants – rechignent à renvoyer devant un tribunal la hiérarchie policière qui serait impliquée dans une affaire de harcèlement moral, laissant ce genre de dossier se régler en interne. Au-delà de la difficulté de réunir les preuves, l’enquête est systématiquement menée par des services de police, qu’il s’agisse d’une unité locale ou de l’IGPN qui a récemment apporté une nouvelle preuve de sa subjectivité en marge du drame qui s’est déroulé dans la nuit du 21 au 22 juin 2019 à Nantes.

Enfin, celui qui s’estime harcelé par sa hiérarchie et qui entendrait ester en justice pour faire cesser l’infraction et obtenir réparation de son préjudice se condamne à voir sa situation personnelle s’aggraver, le pouvoir disciplinaire incombant la plupart du temps à la personne avec laquelle il se retrouve en conflit. L’occasion de souligner que les sanctions illégales, dites « sanctions déguisées », sont monnaie courante au sein de l’administration policière, au point qu’il est fréquent de voir des éléments être affectés du jour au lendemain, dans « l’intérêt du service », à un poste où ils perdent toute responsabilité ou qui les pénalise de par les conséquences (horaires, distance…) sur leur vie quotidienne. Parmi les autres méthodes régulièrement employées pour régler ses comptes en interne figure le blâme, cette sanction du premier groupe ne nécessitant pas la réunion d’un conseil de discipline, donc très facile à prononcer et dont les conséquences directes sont de bloquer l’avancement et la mutation d’un fonctionnaire de police pour 3 ans…

Le fait est que régulièrement le ministère de l’Intérieur annonce des mesures pour enrayer le phénomène des suicides dans les rangs de la police nationale, lesquelles ne sont au final qu’une façade, comme je le révélais dans un article publié sur Boulevard Voltaire en 2016. Il est illusoire de prétendre lutter contre les conséquences d’un fléau dont on refuse de reconnaître l’existence, tout comme il est vain de traiter un problème sans prendre le mal à la racine.

La machine à broyer : une réalité indéniable :

Parmi les exemples récents de policiers faisant l’objet de procédures disciplinaires ubuesques, il convient de citer le cas du secrétaire général du syndicat Vigi, Alexandre Langlois, qui vient d’être suspendu de ses fonctions pour 12 mois dont 6 mois fermes pour manquement à son « obligation de réserve »… Comment ne pas imaginer le sort qui attend le policier de base, si même ceux qui sont censés s’exprimer en leur nom se voient ainsi sanctionnés pour « prise de parole abusive » ?

Il y aurait beaucoup à dire sur les principaux syndicats de police, sur leur cogestion de tout ce qui touche à la carrière des fonctionnaires, sur leur guéguerre de façade illustrée par des tracts dont tout le monde se fout éperdument, sur les accords défavorables qu’ils signent régulièrement en contrepartie de quelques avantages personnels… Raison de plus pour soutenir ceux qui, même minoritaires, tentent de tenir un discours de vérité, même si dans les faits ils n’ont qu’un pouvoir limité faute de siège dans les commissions administratives paritaires.

Pour ma part, comme je l’ai relaté dans mon livre témoignage À mort le flic ! je suis passé par le rouleau compresseur administratif, mais aussi par le biais de la Justice, saisie par ma hiérarchie (en l’absence de toute plainte ou constitution de partie civile), qui a donc été instrumentalisée pour que mon cas soit « réglé ». Cette collaboration particulière entre magistrats et hauts fonctionnaires de police fonctionne aussi bien pour briser la carrière d’un subordonné que pour préserver celle de la hiérarchie, et se coordonne bien souvent par le truchement d’autres réseaux, dont j’évoque l’existence. L’occasion de rappeler, à destination de ceux qui pourraient en arriver à baisser les bras, qu’il vaut mieux se battre jusqu’au bout et affronter chaque obstacle, comme je l’avais évoqué lors d’une interview accordée à Martial Bild en 2017 sur TV Libertés :

Bien sûr, concernant la cohorte de ceux qui passent dans la machine à broyer pour servir d’exemple à ceux qui seraient tentés de les imiter, tout est mis en œuvre pour les discréditer, les diaboliser, les faire taire… Quand on veut tuer son chien, on prétend qu’il a la rage. Et à ce jeu-là l’administration policière n’a rien à apprendre. C’est pourquoi, quand j’entends dans certains médias que « l’IGPN couvre les policiers », j’hésite entre éclater de rire ou pleurer. L’IGPN couvre l’institution policière et la hiérarchie. Ses conclusions ne sont jamais neutres, souvent dictées à l’avance en haut lieu, et briser des policiers de base pour donner le change et assurer à l’opinion que la police nationale est une administration saine qui se débarrasse elle-même de ses « mauvais éléments » est sa fonction première. Qu’importe si, au milieu des cas nécessitant en effet des sanctions exemplaires, figurent des fonctionnaires qui n’ont fait que de refuser de courber l’échine face à la tyrannie de leurs chefs, ou qui se sont révoltés face à l’injustice… Nombreux sont ceux qui en savent quelque chose. Nombreux sont ceux qui ne sont plus là pour en témoigner.

Je rappellerai pour conclure l’importance de la solidarité : ce n’est pas pour rien que tout est mis en œuvre pour diviser les troupes dans les rangs de la police, nonobstant les instructions données par le directeur général de la police nationale d’organiser des « barbecues » pour lutter contre les suicides (SIC). Il suffirait que la majorité se serre les coudes pour remettre l’institution sur les rails, faire à nouveau du service public notre seule raison d’être, et renvoyer ceux qui construisent leur carrière sur des cadavres au sort qu’ils méritent…

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