Aznavour : « La chose la plus importante, notre pays »

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94 ans, 84 ans de métier, Charles Aznavour est Français. Viscéralement. Ombre au tableau : il est « très déçu qu’on fasse passer mille choses avant la chose la plus importante : notre pays ». Interviewé sur Europe 1 par Nikos Aliagas, on sent l’homme meurtri dans sa chair, dans son âme peut-être, profondément française.

« Notre pays », dit-il avec une incommensurable tristesse dans la voix.

On s’imagine alors, à ses côtés, contempler, immobiles et impuissants, notre maison France. Elle est bien mal en point, avec sa toiture trouée, ses tuiles qui jonchent le sol envahi par les détritus et les mauvaises herbes. Elle fait pitié, avec ses volets de guingois tout vermoulus, les vitres de ses fenêtres cassées, la porte arrachée et ses murs moisis d’humidité.

À l’intérieur, glacées par les courants d’air, les belles tapisseries tombent en lambeaux, les peintures s’écaillent et on entend le sinistre « floc floc » d’un robinet qui fuit. Rats et autres animaux s’en sont donné à cœur joie à ronger tout ce qu’il y avait à ronger : même les photos de famille posées avec amour sur les meubles et les beaux livres qui racontaient l’Histoire de France ne sont plus que des souvenirs à peine visibles. Notre maison ne tombe pas en ruine à cause du temps qui a passé mais parce qu’elle n’a pas été entretenue, qu’elle a été abandonnée. Et prise d’assaut par des inconnus à qui on dit que puisqu’elle n’est pas aimable, il faut la faire couler.

Abandonnés, la politesse et l’exigence, la courtoisie et l’élégance, la gouaille joyeuse, les mots d’esprit et l’humour décapant. La France de Charles Aznavour, c’est celle où le mérite et le facteur humain fonctionnaient à plein ; celle où on ne passait pas son temps à geindre et on ne quémandait rien, celle où on ne laissait pas des clandestins s’approprier jardins publics ou ronds-points. « Notre France », c’était un tout charnel avec ses fils du Nord et ses filles du Sud, ses Bretons, ses Auvergnats, ses Alsaciens, ses créoles, ses quelques immigrés italiens, espagnols, arméniens, polonais, africains…

Est-ce à tout cela que pense Aznavour lorsqu’il déclare, au micro d’Europe 1, être « très déçu qu’on [fasse] passer mille choses avant la chose la plus importante : notre pays » ? Aliagas demande à l’artiste de préciser sa pensée : « C’est-à-dire défendre l’identité française, vous voulez dire ? » Eh bien, oui : « L’identité, le passé », lui répond celui qui accepta, en 2009, la charge d’ambassadeur d’Arménie en Suisse après avoir reçu, l’année précédente, la citoyenneté arménienne. Et puis, « la gauche, la droite », qu’importe, il « ne connaît qu’une chose, c’est la France ». « Notre pays », c’est aussi une France d’ordre, pour Aznavour. C’est ce que l’on pourrait comprendre lorsqu’il dit qu’il faut « respecter les gens qui ont des fonctions ». De qui veut-il parler ? L’auditeur qui écoute les infos, sur Europe 1 ou ailleurs, ne peut alors s’empêcher de penser à ces policiers, ces pompiers, ces personnels de santé qui ne peuvent accomplir leur devoir dans certains quartiers où l’on ne respecte plus les « fonctions ». Et puis, le chanteur souhaite « préserver le patrimoine chanté et pas aller chercher n’importe quoi à travers le monde ». C’est vrai, cette manie de penser que si cela vient de l’étranger, c’est forcément bien ! Enfin, il redoute une chose : de laisser « à nos enfants le pire en ayant profité du meilleur », lui qui vient de signer une tribune en faveur de l’écologie.

« Notre pays » ? Pourrons-nous dire encore longtemps « Notre pays » ?





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